Essilor ! Un exemple à méditer pour les RETAILERS français. Totalement absent du e-commerce en 2010, ESSILOR est aujourd’hui leader des ventes optiques en ligne. Mais mieux que cela, sa fusion avec LUXXO lui offre un réseau de 8000 points de vente car (et c’est la que le magasin restera toujours le magasin) dans l’optique, il faut multiplier les points de contacts avec le client : les ventes se faisant en magasin. L’omicanal à la sauce ESSILOR qui accorde autant d’importance au web (qui génère aussi du trafic en magasin) qu’à la présence en boutique serait donc le modèle hybride ULTIME ?
En fusionnant avec Luxottica, le spécialiste français des verres correcteurs s’offre 8 000 points de vente pour optimiser sa présence sur le web.
Un coup de massue sur le secteur de l’optique, l’annonce est tombée le 16 janvier. Chacun champion de sa catégorie, Essilor et Luxottica ont décidé de conjuguer leurs forces pour donner naissance à un véritable colosse, agrippant d’un bras le marché des montures de lunettes et de l’autre celui des verres. Doté d’une force telle que leurs concurrents devraient avoir bien du mal à rivaliser au bras de fer. La capitalisation boursière de cette nouvelle entité, baptisée EssilorLuxottica, devrait atteindre 50 milliards d’euros. S’appuyant sur une complémentarité parfaite en termes de produits, d’empreinte industrielle et de canaux de distribution, ce géant dominera le marché des lentilles, de la correction et du solaire, aussi bien en magasin qu’en ligne. Car c’est aussi ce qu’Essilor est allé chercher chez l’italien Luxottica : un moyen d’accélérer sa transformation digitale.
Retour en 2010. Pour beaucoup d’observateurs, l’une des faiblesses d’Essilor est d’avoir laissé filer un maillon dans sa stratégie d’intégration verticale : la vente au détail. Pour combler ce cruel manque, le Français initie une vaste campagne de rachats de sites de e-commerce. « Ses premières cibles sont deux Américains, Framesdirect puis EyeBuyDirect », raconte Cédric Rossi, analyste financier chez Bryan Garnier. Une tactique adroite et nécessaire alors que le modèle économique du verrier commence à ressentir les remous créés par l’arrivée de ces nouveaux venus, les pure players. Puis Essilor se penche sur l’Europe. Il commence par s’offrir Coastal qui réalise 30 % de son chiffre d’affaires dans les pays nordiques et agrémente cette emplette avec Vision Direct, le leader de la vente en ligne de lentilles au Royaume-Uni, en février 2016.
Six mois plus tard, Essilor dessine encore un peu plus ses intentions sur le marché européen en mettant la main sur le leader des ventes optiques en ligne, MyOptique Group. Son positionnement unique est un atout de taille pour Essilor : le Britannique commercialise à la fois des solaires, des lunettes de vue et des lentilles et dispose de six marques. Une nouvelle fois, Essilor s’offre l’acteur qui lui manquait. Avec Coastal, Vision Direct, LensWay et MyOptique Group, il a de quoi couvrir l’ensemble du marché européen de l’optique sur internet.
Aujourd’hui, Essilor a bien rattrapé son retard pour devenir le leader de la vente en ligne. Il affiche fièrement un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros en 2015. Il est loin le temps où son PDG, Hubert Sagnières, affirmait à propos des sites de e-commerce : « Vous n’y trouverez pas nos marques ni nos verres progressifs, mais cela satisfait des consommateurs qui ont envie d’une monture à 3 heures du matin. » Le verrier affiche même des objectifs ambitieux : atteindre entre 400 et 500 millions d’euros d’ici à 2018. « Fin 2016, Essilor pourrait avoir déjà réalisé 370 millions d’euros de chiffre d’affaires grâce au commerce en ligne. Donc ils sont en bon chemin pour atteindre leur objectif 2018 », observe Cédric Rossi.
Ouvrir des boutiques pour booster son activité
Le géant français voulait se préparer à l’assaut de ces cow-boys du web. Il peut être rassuré, non seulement ses arrières sont bien assurés, mais en plus l’abordage tant redouté n’a jamais eu lieu. « Être un pure player dans l’optique, ce n’est pas simple. C’est d’ailleurs ce qu’avait un peu sous-estimé Marc Simoncini avec Sensee, le site d’optique à bas prix lancé par le créateur de Meetic en 2011. Il pensait faire comme Free dans les télécoms et disrupter le marché de l’optique. Mais pour développer son offre internet, il faut multiplier les occasions de contact avec le consommateur », analyse Cédric Rossi. « Tous s’accordent à dire que le web ne décolle pas, Sensee en tête. L’immense majorité des ventes se fait chez l’opticien, surtout en France », observe Mathieu Escot, responsable des études à l’UFC – Que Choisir (voir en bas d’article). Difficile dans ces conditions de faire l’impasse sur le « brick-and-mortar », ces bons vieux magasins physiques. « Dans le secteur du textile, le web représente entre 20 et 30 % des ventes. Dans l’optique, cela chute à 4 % », affirme Cédric Rossi de Bryan Garnier. Comme beaucoup d’autres, Sensee s’est donc résolu, en novembre 2015, à ouvrir des boutiques pour booster son activité. C’est aussi le cas du site Warby Parker créé en 2010 par des étudiants américains. Après avoir tenté l’expérience du tout web, ils prennent le parti d’ouvrir quelques magasins dans des quartiers branchés, comme Soho à New York, en 2013. Les ventes explosent au point de faire entrer Warby Parker dans le cercle très fermé des « licornes », ces start-up à la croissance fulgurante, valorisées à plus d’un milliard de dollars. La clé de la réussite serait donc l’omnicanal, la convergence entre offre en ligne et magasin physique ? « Une vraie stratégie omnicanale, bien construite, ne cannibalise pas les ventes en magasin, mais permet au contraire d’attirer les clients vers les boutiques grâce à internet », constate l’analyste de Bryan Garnier.
Essilor avait déployé ses tentacules sur le web, Luxottica lui apporte ce qui lui manquait : un gigantesque réseau de distribution. Avec 8 000 points de vente à travers le monde, les occasions de créer du contact avec les consommateurs ne manqueront plus ! « Nous allons maintenant réfléchir à la meilleure façon d’utiliser le digital sur le réseau physique », nous confirme un porte-parole d’Essilor, juste après l’annonce de la fusion avec Luxottica. « Une fois le mariage consommé, Essilor et Luxottica mettront probablement en commun leurs bases de données. On pourrait donc imaginer acheter une monture de lunettes sur le site EyeBuyDirect et aller la retirer très rapidement dans un magasin détenu par Luxottica », prévoit Cédric Rossi. Le confort de faire son shopping dans son canapé et la fiabilité des réglages de l’opticien ! Un modèle hybride qui est en train de se développer en Allemagne notamment. Les sites Mister Spex et Brillen.de ont établi des partenariats avec un réseau d’opticiens, toujours à la recherche de ce Graal que représente l’omnicanal.
Une force de frappe décuplée
L’union d’Essilor et Luxottica ne devrait pas seulement accélérer la transformation numérique du verrier, mais aussi la digitalisation de tout le secteur. Désormais, les plus petits acteurs devront faire face à un couple à la force de frappe décuplée par cette nouvelle maîtrise de la chaîne de valeur, une position inédite dans l’optique. Les deux plus gros concurrents d’Essilor, le japonais Hoya et l’allemand Zeiss, sont pour le moment peu présents sur le web. Quant aux distributeurs, ils semblent regarder de plus en plus vers la toile. La preuve, en octobre dernier, le groupe Afflelou a racheté deux pure players, Happyview.fr et Malentille.com. La révolution est bien en marche mais prendra un peu de temps. « Il faut garder en tête que l’optique est un marché de vieux. La génération des “millenials ”, nés à partir de 1980, est à l’origine de la disruption dans le secteur du textile… Cela arrivera aussi à l’optique, mais dix ans plus tard, quand tous ces “millenials” deviendront presbytes ! », plaisante Cédric Rossi.
« Le remboursement des lunettes, une spécificité française »
Interview de Mathieu Escot, responsable des études à l’UFC-Que choisir
Pourquoi Essilor s’est-il montré réticent à se lancer dans le commerce en ligne ?
Il estimait avoir une image de marque forte et voulait entretenir de bonnes relations avec son réseau d’opticiens qui représente encore plus de 95 % du marché. Pour toutes ces raisons, Essilor rechignait à vendre en ligne aux nouveaux entrants. Ou du moins il ne voulait pas que son nom apparaisse. Il faut comprendre qu’Essilor ne voulait surtout pas se fâcher avec ses distributeurs en permettant à des pure players de vendre les mêmes produits moins chers.
Ce qui explique que ces nouveaux acteurs, Marc Simoncini en tête avec Sensee, l’accusent de verrouiller le marché ?
Ces nouveaux entrants, à l’instar de Sensee effectivement, avaient besoin d’afficher qu’ils vendaient des marques connues du grand public. Marc Simoncini a toujours reproché à Essilor de les affaiblir commercialement en refusant de leur fournir ses produits. Ce qui est assez paradoxal dans la mesure où Essilor lui-même possède des sites de vente en ligne.
Pourquoi la vente en ligne peine-t-elle à décoller en France ?
Les ventes s’effectuent encore majoritairement chez les opticiens. Le marché français a une grande spécificité par rapport au reste du monde : le remboursement par la Sécurité sociale puis par les mutuelles. Dans la plupart des autres pays, même les assurances complémentaires privées ne remboursent pas. Les consommateurs payent entièrement de leur poche leur paire de lunettes. Ils vont donc chercher le meilleur rapport qualité prix. Et ils se dirigent souvent vers les sites internet qui proposent des marques connues et des verres de qualité pour 150 euros au lieu de 400 ou 500 euros en magasin. Quand la mutuelle rembourse, quoi qu’il arrive, 400 euros, le consommateur ne va pas perdre de temps à aller chercher le prix le plus attractif et à faire des comparatifs entre les tarifs en magasins et sur le web. Les Français ne sont pas plus rétifs au commerce en ligne que les autres, mais ils sont moins incités à chercher un bon plan.
En fusionnant avec Luxottica, Essilor a aussi étanché sa soif de technologies. Le fabricant de montures, via sa mythique marque Ray-Ban, a développé Virtual Mirror, un outil utilisant la réalité augmentée. Si un client potentiel se demande en pleine nuit de quoi il aurait l’air avec une paire de Wayfarer sur le nez, il lui suffit d’allumer son ordinateur. Via la webcam, le module lui offre un reflet très fidèle, même quand il bouge. Selon nos informations, Essilor développerait aussi en interne une application pour smartphone capable de prendre des mesures aussi précises que chez l’opticien (la largeur du visage, l’écartement des yeux). Un arsenal complet pour renforcer la totalité des sites du groupe.
Source : Usine Nouvelle