« Les retailers doivent se mettre au service de l’interaction entre les clients »

Personnellement, je ne suis pas sûr que la personnalisation que tous les RETAILERS voient comme le GRAAL de l’expérience client soit la solution Ultime. En effet, c’est pour moi comme l’évoque Cédric Ducrocq en prenant l’exemple de CARREFOUR « une grosse niche ». Le rapport entre le bénéfice client, sa satisfaction et « la culture minimale » nécessaire pour personnaliser son produit, les efforts, la patience, la non instantanéité (et donc l’absence des motivations liées à l’achat d’impulsion) limitera toujours le volume des achats. Cela me fait penser à ces FABLAB que l’on adore tous avec leur imprimantes 3D .. C’est quand vous la dernière fois que vous y avez mis les pieds ?? 😉

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Comment adresser les exigences de consommateurs à l’heure de TripAdvisor et d’Airbnb ? Eléments de réponse avec le président du Groupe Dia-Mart.

JDN. Vous présentez aujourd’hui au World Retail Congress à Dubaï un rapport sur l’adaptation nécessaire des retailers à un monde horizontal. Quelle est votre thèse ?

Cédric Ducrocq. L’époque moderne valorisait la rationalité, la science, l’expertise, incarnées par des sachants qu’étaient notamment les hommes politiques ou les grandes entreprises, auxquels nous déléguions notre confiance. Quelques dizaines d’années après, les gens se disent « après tout, les sachants n’étaient pas si compétents et en plus, ils sont partis avec la caisse« . On le voit en politique, mais c’est vrai dans le retail aussi. La confiance dans les marques s’est érodée, à part dans le luxe pour des raisons de projection d’ego. Même constat chez les enseignes qui, moins statutaires et arrogantes que les marques, ont tout de même un discours de puissance, façon « je vais prendre ton bonheur en main« . Les disrupteurs des dernières années repartent d’en bas, que l’on parle d’Uber, de TripAdvisor ou d’Airbnb. Aujourd’hui on fait plus confiance à Heetch qu’à un chauffeur de taxi ! Les acteurs du retail aussi doivent abandonner leur arrogance statutaire et embrasser cette horizontalité.

Quel type d’initiatives préconisez-vous ?

L’un des axes à explorer est l’interaction des clients avec les produits. Lorsqu’on leur demande comment ils auraient plus confiance dans l’achat d’un produit dans tel magasin, ils répondent que le produit doit correspondre à leur besoin et que pour s’en assurer, ils doivent le comprendre voire se l’approprier. Cela passe par une interaction plus poussée que le voir sur une étagère. Raison pour laquelle Leroy Merlin déploie de plus en plus de zones de test et va jusqu’à mettre des bûches dans les rayons scies de sa nouvelle génération de magasins. Le traitement des cabines d’essayage dans l’habillement est aussi emblématique. Auparavant reléguées au fond du magasin, mal éclairées et traitées comme des zones de vol, elles incarnent aujourd’hui la supériorité du physique sur le digital et sont bien mieux valorisées.

« L’assortiment des librairies Amazon Books est basé sur les notes des clients »

Le digital contribue aussi à enrichir l’expérience client en magasin. Les tablettes vendeurs marchent déjà très bien, comme chez Darty qui l’a systématisé à grande échelle : en ayant accès au stock, aux couleurs, aux accessoires, à la date de livraison, etc, sans faire la navette entre le rayon et l’ordinateur du vendeur, on comprend, on s’approprie mieux le produit. Les étiquettes électroniques sont aussi une bonne piste, ainsi que les simulations et images animées montrant le produit en situation d’usage. Et on n’est qu’au début de l’histoire.

Quels autres services plus horizontaux les retailers peuvent-ils développer ?

Le digital permet de « commoditiser » la voix du client, pour la collecter massivement et la traiter bien mieux qu’avec les traditionnelles études conso. On ne s’arrête d’ailleurs plus aux avis client, on inclut les interactions avec eux, comme sur la plateforme communautaire Club Makers du Club Med. Les retailers doivent absolument disposer d’outils pour collecter les avis clients tout le temps et sur tous les sujets. Ils peuvent les utiliser pour transformer leur culture d’entreprise autour de la voix du client, ou les partager en tant qu’aide au choix horizontale. Le premier à avoir systématisé cela est bien sûr Amazon, qui l’a aussi porté dans le retail : l’assortiment et le merchandising des librairies Amazon Books sont basés sur les notes des clients de la zone de chalandise.

La chaîne allemande d’accessoires pour la maison Butlers est aussi intéressante. Les consommateurs proposent leurs propres designs en ligne, elle en fait des collections capsules. Devant la pertinence des designs proposés, la bienveillance suscitée chez les clients et le succès en termes de ventes, elle a déployé le dispositif dans ses 160 magasins.

Jusqu’où peut aller l’horizontalisation d’un marchand ?

L’horizon ultime consiste à se mettre au service de l’interaction entre les clients, plutôt que de mettre sa communauté au service de sa marque. Les exemples les plus frappants se trouvent du côté des marques de sport urbaines comme LuluLemon ou Running Room. Elles ne disent plus uniquement « on vous vend les produits nécessaires à votre pratique sportive » mais surtout « nous sommes au service du développement de cette pratique« . Running Room a par exemple une activité importante d’organisation de courses, qui ne lui rapporte rien. Ce n’est plus de la communication, c’est une véritable prestation.

« La personnalisation est le comble de l’horizontalité »

Bien sûr, c’est plus compliqué à inoculer dans le business model et l’organisation très verticale d’un gros retailer mass-market que chez une start-up positionnée sur une niche bobo, mais c’est possible. Prenez les ateliers organisés par l’enseigne de loisirs créatifs Zôdio. Ils sont animés localement, en magasin, l’inscription et le paiement se font en ligne pour faciliter la gestion, les utilisateurs co-décident les thèmes des ateliers et peuvent les animer eux-mêmes. Il n’y a plus rien de l’arrogance traditionnelle des retailers. Vous remarquerez par ailleurs que ce procédé est encore plus puissant lorsqu’il trouve une traduction physique, quitte à digitaliser tout ce qui peut l’être pour réduire les coûts.

La personnalisation participe-t-elle aussi à l’horizontalisation du retail ?

Tout à fait. On le voit par exemple chez le pure player Selfnation qui a adapté aux pantalons le modèle de « bill-to-order » que Shoes of Prey avait créé pour les chaussures : on ne fabrique qu’une fois la commande passée. En réalité les composants sont déjà prêts, mais assemblés en fonction du client. Comme chez Dell ! On peut voir un paradoxe à cette promesse de « bien-aller » alors qu’on ne peut essayer le produit avant, mais la plateforme fournit de nombreux outils pour que l’ajustement soit optimal.

Dans le retail, le bill-to-order existe depuis longtemps pour certains meubles qui peuvent comporter une part de personnalisation. Le digital l’a amené à des achats moins impliquant et livrés plus rapidement. En pratique, la production sur place reste limitée à des gammes de produits assez étroites. Carrefour exploite très bien cette possibilité avec les corners MyDesign mais cela reste de l’ordre de la grosse niche. Cependant, c’est possible plus largement. Dans le textile, Celio propose en magasin l’assemblage et la finition personnalisée de certaines chemises. C’est du semi-sur-mesure de masse, finalisé non en Chine mais en Europe pour permettre une livraison en quelques jours.

Rappelons que les gens ne viennent pas en magasin pour vivre une expérience mais pour les produits. Pour aller dans leur sens, il faut mettre de l’horizontalité dans le produit. Or la personnalisation est le comble de cette horizontalité, donc en mettre une touche est une bonne chose. Quitte à repenser, au moins en partie, les modèles, totalement opposés, de fabrication de masse en Asie.

 

Source : Journal du Net