En 2016, 66% des transactions digitales ont été réalisées sur mobile en Chine (contre 26,5% en France). Avec ses 724 millions d’utilisateurs mobile, la Chine est devenue en quelques années un pays Mobile only, où le Smartphone devient à la fois place de commerce et moyen de paiement, avec 65% de paiements effectués en mobile en 2016. Une aubaine pour les plateformes, qui développent une multitude d’offres et de services pour permettre aux marques de renforcer leur présence en ligne et d’y distribuer leurs produits.
La menace des géants du e-commerce
Alibaba, Tencent et Baidu ont en quelques années pris d’assaut la scène retail chinoise en développant leurs propres plateformes, souvent comparées à Amazon ou eBay.
Leader du e-commerce chinois, Tmall (anciennement Taobao Mall) du groupe Alibaba propose aux enseignes de créer leur propre « store » sur sa plateforme et s’est rendu, en quelques années, incontournable. A l’image de Lamborghini ou Mercedes, il est devenu aujourd’hui indispensable pour une marque souhaitant s’implanter en Chine et y distribuer ses produits d’assurer sa présence et sa visibilité sur Tmall. Véritable centre commercial (« mall ») digital, la plateforme est référente pour la garantie des produits qui y sont proposés.
Avec son autre plateforme Taobao, Alibaba contrôle en tout 60% des parts de marché du e-commerce B2C en Chine. Taobao est plutôt un analogue de Ebay, davantage orienté C2C que Tmall, elle propose tout type de produits et services vendus par des individus (et non forcément des marques avec leur « magasin en ligne »), sans en garantir l’authenticité.
Face à Alibaba se dresse le géant JD.com, qui, avec son vaste catalogue, affichait une croissance de 44% en 2016. Forte de sa puissance logistique avec ses entrepôts largement automatisés, l’entreprise est capable de livrer dans la journée une commande réalisée avant 13h dans une grande ville.
Pourtant les magasins continuent à se développer et se trouvent de nouvelles fonctions
Les baisses de fréquentation des magasins en Chine sont assez notables. Pourtant – et c’est l’un de nos étonnements principaux lors de ce voyage – les enseignes continuent à fleurir et de nouveaux malls (physiques cette fois-ci !) sortent de terre chaque mois. Mais que peuvent-ils offrir que le consommateur ne pourrait pas se procurer en un clic depuis chez lui ?
Leur unique selling point ? L’expérience!
Ainsi, on voit des centres commerciaux proposer de nouvelles approches et un storytelling qui leur est propre pour s’adresser à de nouvelles cibles.
Par exemple, le groupe de centres commerciaux K11 fondé par Adrian Cheng, l’un des plus grands collectionneurs d’art au monde qui a pour ambition de démocratiser l’art en Chine, a choisi de cibler exclusivement les millenials avec son nouveau complexe de Shanghai. Les marques proposées, mais aussi l’ensemble des activités et services du mall lui-même sont finement ajustés aux goûts, usages et envies de cette cible particulière. Favorisant le dynamisme et la nouveauté, plusieurs espaces éphémères sont réservés pour accueillir des enseignes nouvelles qui sont tenues de créer des animations particulières et exclusives pour favoriser la découverte fréquente des clients. A chaque nouvelle visite du centre commercial, une nouvelle découverte !
Pour faire face au « challenge » de la fidélisation de ces jeunes consommateurs de plus en plus exigeants et volatiles, le complexe propose de nombreux services annexes qui incitent à la flânerie et favorisent la dépendance (de certains services). Par exemple, les clients rechargeant leur Tesla au parking peuvent accéder à un salon/bar de repos, le but étant de favoriser la recharge dans le complexe plutôt qu’ailleurs. Les visiteurs du mall peuvent également profiter d’expositions artistiques régulièrement renouvelées, auxquelles un étage entier est dédié (suivant la logique initiale du fondateur : pour donner accès à l’art aux millenials, il fallait aller les chercher là où ils sont : dans un temple de consommation).
Aux clients les plus importants (plus de 300 kRMB de dépenses par an) sont offerts des services encore plus haut-de-gamme et très exclusifs. Au dernier étage de la tour K11, ceux-ci peuvent profiter d’un accès illimité à un espace VIP, dans lequel ils trouveront une salle de sport, des espaces de travail, un bar et plusieurs salons privés.
De plus en plus, les malls deviennent également lieux de rencontre et d’apprentissage, comme au K11 qui organise des « garage parties » tous les 4 mois et où un espace est dédié à la pratique du jardinage ou encore chez Réel – autre mall haut-de-gamme et principal concurrent du K11 – dans lequel un étage entier est réservé à l’apprentissage d’activités diverses telles la peinture, la cuisine ou encore le tannage de cuir…
Les centre commerciaux ont ainsi clairement dépassé leur unique fonction de « place de commerce » réunissant différentes enseignes sous un même toit, pour devenir tantôt espace de découverte, de détente ou de culture. Il semble loin le temps où le mall s’érigeait en temple de la consommation ! Aujourd’hui, en Chine, il se veut temple de l’expérience. Un véritable lieu de vie, encore difficilement reproductible sur un téléphone (jusqu’à preuve du contraire…).
Une expérience d’achat qui doit être sans-couture
Mais pour faire face à la concurrence e-commerce, ce re-positionnement en haut-lieu culturel ne saurait suffire. Car il s’agit aussi et surtout pour les retailers « physiques » d’assurer, au-delà de l’expérience sensible, une expérience retail irréprochable. Devant la seamlessness qui caractérise aujourd’hui l’expérience d’achat sur les plateformes de e-commerce,- et à laquelle les consommateurs chinois sont bien habitués -, les magasins physiques se doivent d’innover pour fluidifier leur parcours.
Premier point de friction : la transaction elle-même. Devant la facilité de l’expérience de paiement sur mobile, les magasins physiques se doivent de trouver une solution aussi fluide qu’en ligne. Heureusement, la Chine bénéficie d’un taux d’adoption massif des nouvelles technologies ce qui facilite le développement de nouvelles formes de paiement. La solution ? Le mobile lui-même. Ainsi, un grand groupe d’habillement que nous avons rencontré a pu passer de 0% à 65% de paiement mobile en un an à partir du moment où les 2000 magasins de l’enseigne ont équipé les vendeurs de lecteurs de paiement mobile.
Surfant sur cette tendance, de plus en plus d’enseignes ouvrent des magasins sans personnel. Le client équipé de son téléphone mobile est parfaitement autonome grâce à des détecteurs NFC. Nous avons notamment pu découvrir et tester BingoBox, un mini supermarché connecté lancé par une startup chinoise, qui permet aux riverains de faire leurs courses à toute heure. C’est très simple : le client entre dans la « boîte » en utilisant le lecteur de QR Code et en scannant son propre code via l’application WeChat, il choisit ensuite ses produits tous équipés d’étiquettes NFC et procède au paiement sur une caisse détectant les produits et lisant le QR Code.
Devant cette opportunité retail – physique cette fois-ci – Alibaba a récemment racheté Hema. Ce supermarché alimentaire où online et offline se marient parfaitement, permet aux clients de scanner les produits qu’ils souhaitent et de payer à la sortie grâce à Alipay ou alternativement de faire leur shopping les mains libres en se faisant livrer les produits choisis à domicile. Ils peuvent aussi acheter directement en ligne les produits disponibles en magasin, des employés se chargent de préparer les commandes et les paniers remplis transitent sur des rails sécurisés au plafond du magasin pour atterrir directement au niveau de livreurs en scooter prêts à livrer le tout en moins de 30 minutes.
Sur le même principe qualifié de « New Retail », un TaoCafé (dérivé de Taobao) a vu le jour à Hangzhou dans lequel la reconnaissance faciale permet d’identifier un client et de valider ainsi ses achats à la sortie.
Ces nouvelles formes de paiement, encore très peu répandues il y a peu, ont ainsi vite pris le dessus pour devenir aujourd’hui absolument incontournables. Il est aujourd’hui difficile d’évoluer en Chine sans s’y plier. De nombreux lieux cashless voient le jour facilitant certes le quotidien et l’expérience des consommateurs locaux, mais compliquant parfois celle d’une clientèle étrangère. C’est ce que nous avons pu observer dans certains restaurants 100% cashless, mais aussi étonnement dans de grands centres comme K11 que l’on pourrait pourtant penser ouverts à une clientèle étrangère mais qui, déjà, n’acceptent plus les cartes VISA, Mastercard mais uniquement des cartes chinoises ou des paiements par Alipay ou WeChat (N.B : il est nécessaire d’avoir un compte en banque dans une banque chinoise pour créer son « wallet » dans les applications traditionnelles de paiement).
Au niveau logistique et en ce qui concerne la gestion des stocks – autre point majeur de concurrence vis-à-vis des grandes plateformes – pour être en mesure de jouer dans la même cour que les acteurs digitaux proposant une large gamme de produits et des livraisons ultra-rapides, les enseignes doivent pouvoir stocker leurs produits au sein même des villes et non plus uniquement dans des entrepôts à plusieurs centaines de kilomètres des zones denses. Le magasin devient ainsi un entrepôt local et répond ainsi à la problématique de livraison du dernier kilomètre. Des enseignes comme Cache-Cache (groupe Beaumanoir) l’ont bien intégré et interrogent les stocks des magasins lorsqu’un client souhaite acheter sur le site e-commerce de l’enseigne des produits pour favoriser une livraison dans les meilleurs délais.
Conclusion
De part sa large population, la Chine permet d’éprouver sur un grand nombre de clients de nouvelles technologies. Sa population particulièrement réactive au changement et de plus en plus équipée devient une base riche de consommateurs pour tester de nouveaux usages. Une merveilleuse opportunité pour startups et enseignes chinoises ou internationales pour qui la Chine devient un véritable terrain de jeu et d’exploration, où tester de nouveaux parcours, de nouvelles interactions et de nouveaux produits.
Pour favoriser le test avant déploiement plus massif, le groupe Fung a ainsi crée le Explorium Retail Lab, un mall entièrement dédié à l’expérimentation. Les enseignes peuvent y tester de nouvelles technologies, de nouveaux produits, grâce notamment à des solutions in-store analytics qui permettent de mesurer la réaction des visiteurs aux produits. Avant tout lancement officiel à plus large échelle, cette étape IRL est devenue quasi incontournable.
C’est donc bien clair, même dans un pays mobile only aussi friand et consommateur de technologies que la Chine, le magasin physique a encore toute sa place dans la vie d’un consommateur moyen, s’il sait composer avec ses concurrents e-commerce en s’en distinguant. Nous l’avons vu, pour continuer à attirer et générer du trafic, le magasin traditionnel se doit de trouver de nouveaux leviers pour réenchanter l’expérience client et offrir des possibilités que les plateformes digitales ne peuvent pas adresser. Comment ? en devenant « pourvoyeur d’expériences », tout en innovant pour résoudre les difficultés logistiques et « fonctionnelles » inhérentes au lieu physique (gestion de stock, passage en caisse, …).
Mais au-delà de la différenciation et de la mise à nouveau logistique, la meilleure façon de se protéger de la menace e-commerce reste d’en prendre acte et de favoriser les passerelles O2O (online to offline), à l’image de ces boutiques éphémères qui ont su s’associer à Alibaba lors des festivités (entendez, « soldes ») de la « fête des célibataires » ce 11 novembre dernier en proposant, dans leurs espaces physiques, des expériences digitales aussi utiles que divertissantes.