Des destinations renforcées
« Deux grandes évolutions se dessinent. Celle du ‘‘commerce visqueux’’ qui colle aux clients partisans du moindre effort, achetant là où ils sont. On le trouve en gares, hubs de transports ou districts d’affaires. Et celle du commerce de destination qui nécessite de sortir de sa zone de confort. Or le prix à payer pour détacher les gens de leurs zones de viscosité va être de plus en plus fort ! Il faudra concevoir des lieux de »destination renforcée » en mutualisant les raisons de se déplacer, avec des expériences modifiant substantiellement l’état émotionnel des visiteurs. Pour des niveaux d’investissement à l’image du projet francilien Europa City ».
• Olivier Badot, doyen de la recherche à l’USCP Europe, professeur à l’université de Caen, directeur scientifique de la Chaire E. Leclerc
Des lieux de liens
« Exit les barnums commerciaux, les centres aujourd’hui sont dans le trop plein, le trop commercial ! Le centre de demain ne sera plus que commercial et admettra… le vide, la poésie, la sensibilité, la culture comme la nature. On s’y promènera comme on se promène dans la cité ou dans la forêt, sans objectif précis autre que celui d’être bien, l’esprit libre, les sens en éveil pour découvrir et être surpris. N’y a-t-il pas des couleurs, des odeurs, des personnages, des cris et donc des émotions fortes sur les marchés ? Le client qui voudra »bêtement » acheter ira sur internet, le bon magasin sera celui qui »sentira » le moins le commerce, en créant une relation, en partageant une passion, en suscitant une émotion et pas seulement une expérience. Par son contenant et son contenu, le centre commercial – qui ne méritera plus son nom – sera en même temps dans un design d’hôtellerie et naturellement un design de l’émotion. Tout celà pour créer des »lieux de liens ».
• Olivier Saguez, fondateur de l’agence Saguez & Partners
L’héritier de l’Arbre à Palabres
« Selon l’anthropologue Claude Lévi-Strauss les lieux de commerce ont toujours satisfait trois fonctions. Ce sont des lieux d’échanges de biens et de services. Mais aussi de rencontre, aujourd’hui mis à mal par la disparition de véritables espaces publics dédiés. Ce sont surtout des lieux d’échange de paroles héritiers de l’Arbre à Palabres et du marché provençal. De centres de ravitaillement il y a 50 ans, les centres deviennent plus que jamais ces lieux de socialisation ».
• Stéphane Hugon, sociologue, fondateur du cabinet Eranos, spécialisé en « design relationnel »
Un endroit apaisé
« C’est un centre bien dans sa ville et son environnement. Agréable en toutes saisons, fermé l’hiver, ouvert l’été. Autonome sur le plan énergétique, il a réglé ses problèmes de consommation. Et surtout c’est un écosystème où il n’y a plus des commerçants d’un côté et un bailleur de l’autre, mais des co-créateurs qui réussissent à s’accorder paisiblement, pour offrir le meilleur au visiteur, client ou citoyen. Le centre commercial de demain est un endroit apaisé ».
• Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos
La règle des 5 M
« Certains voient dans la puissance, la clé du succès des centres commerciaux. Pour nous, c’est plutôt leur singularité. Elle se résume en 5 M ! Marque, car le nom approprie un territoire, annonce un style de vie. My Place, soit la nécessité de créer le sentiment d’appartenance en consultant notamment le client en amont de la conception. Mobilité, grâce au digital et aux nouvelles technologies mis au profit d’un parcours ‘‘augmenté’’. Mixité, pour décloisonner le commerce des autres usages de la ville. Mutabilité, enfin, pour imaginer des formats évolutifs, agiles, éphémères, en antithèse des modèles figés du passé ».
• Anne-Typhaine Gruat, responsable du planning stratégique de l’agence Matador
Une conception participative
« Il y a autant de centres de futur que de projets conçus, chez nous, de façon participative en impliquant l’ensemble des acteurs locaux. Cette démarche de co-conception englobe les futurs clients, les enseignes à venir, tous les salariés sur le site, des boutiques à l’hyper Cora. De même que les équipes municipales et les associations de commerçants, au côté des architectes, des bureaux d’études et des équipes de Galimmo. Soit des ateliers d’une trentaine de personnes, réunis de un à trois jours, pour dessiner ensemble leur futur centre ».
• Maël Aoustin, directeur général de Galimmo Real Estate (galeries Cora).
Place de village et de marché
« Le centre de demain sera davantage une »place du village » qu’un lieu trivialement commercial. Pour satisfaire le besoin de convivialité que font paradoxalement disparaître les réseaux dit sociaux. Mais je le vois aussi comme une ‘‘place de marché’’, un lieu de proximité où sont valorisés les produits locaux. Et ce lieu pourrait aussi se décliner selon plusieurs vocationset offrir des services complémentaires de santé, de culture ou de loisirs : des expositions dans la galerie, une maison médicale parmi les moyennes surfaces, et un parking qui se transforme en terrain de basket ou en roller park le week-end ».
• Laurent Boutbien, président d’Immo Mousquetaires
De la chirurgie réparatrice au coeur des villes
« Parlons de la ville du futur, plutôt que du centre de demain ! L’exercice du commerce n’est jamais qu’un questionnement permanent sur la ville. Or, tandis que les périphéries urbaines ont bénéficié d’investissements et de talents pour s’ériger en destinations, rien n’a été fait pour nos centres-villes désocialisés. Au point que le New York Times de février 2017 montrait Albi comme symbole de ce déclin français ! Il faut rééquilibrer la ville en renforçant son armature centrale. Une véritable chirurgie réparatrice, à base de commerce agrégeant d’autres fonctions ! Comme nous le faisons à Metz avec un quartier mixte autour de Muse (Apsys) et à Bruxelles, où le projet Europea fera naître 200 000 m² multifonctionnels au pied de l’Atomium ».
• Jean-Paul Viguier, président-fondateur de l’agence internationale d’architecture et d’urbanisme Jean-Paul Viguier et Associés.
Une fusion avec les centres-villes
« Il y aura une convergence entre centres commerciaux et centres-villes. Ces derniers étant gérés comme les premiers. Et réciproquement. L’espace commercial sera au cœur des villes. Ce que nous avons fait avec les Allées Provençales à Aix-en-Provence ou Promenade Sainte-Catherine à Bordeaux. C’est aussi ce que fédère le Comité Haussmann à Paris, avec les Galeries Lafayette, le Printemps, le Passage du Havre… au cœur de Paris. Leur organisation sera semblable en rues, circulation et transports. La mixité d’usages entre habitations, bureaux, administrations, loisirs et commerces s’y imposera ».
• Thierry Cahierre, président de Redevco France
Plus de tempo imposé
« On a mis les gens sous cloche dans des centres où tout était écrit à l’avance ! Or, les consommateurs ont repris le pouvoir. Le marché aux puces ou le Bon Coin sont les nouveaux magasins de meubles. Le fantasmer des marques et le shopping ne sont plus des motivations suffisantes pour faire venir les gens. Le centre commercial de demain n’imposera plus ces messages ! Tout comme les concerts survivent à la musique on-line, et le cinéma à Netflix, les nouvelles technologies ne font qu’exacerber le besoin de se rencontrer. Les nouveaux centres ont les mètres carrés propres à devenir ces lieux de rassemblement, mais ils ne devront plus imposer leur tempo ».
• Jean-Luc Colonna d’Istria, fondateur des magasins Merci et Résonances, consultant en innovation commerce
Inutile et bouleversant
« Le centre commercial de 2030 a peu à voir avec celui qui a fait la joie de nos parents. C’est un lieu à la fois inutile et bouleversant d’architecture et de design. Le son, la lumière, les matériaux, les odeurs : tout est travaillé dans le détail. Chaque jour il y a un concert, une exposition,… Les magasins sont davantage que des flagships : des lieux de démonstration et d’échange. La référence au chiffre d’affaires réalisé sur place a disparu au profit du comptage précis du nombre d’yeux et du temps passé par le consommateur à interagir avec la marque ou le produit ».
• Guillaume Poitrinal, co-président de Woodeum (ancien président du directoire d’Unibail-Rodamco).
Le smart shopping centre
« C’est un centre commercial intelligent utilisant les données nominatives et non nominatives pour anticiper les attentes, renforcer la relation client et devenir un point de convergence de toutes les expressions du commerce online et offline. Ce centre commercial de foncière »3ème génération » est un fournisseur de solutions marketing BtoBtoC qui viennent en complément des actions marketing nationales des enseignes ».
• Jacques Ehrmann, Président Directeur Général de Carmila
Une recette artisanale
« La difficulté, mais aussi l’intérêt de notre métier, est qu’à chaque projet nous repartons de la page blanche ! Nous sommes davantage des artisans que des »industriels’’ des centres commerciaux. Certes les ingrédients de base sont les mêmes, mais c’est comme si à chaque fois nous changions la recette. Nous avions déjà eu cette intuition en 1996, lorsque nous créions Apsys avec le slogan ‘‘Imaginer demain’’. Vingt ans plus tard, tous les anciens modèles ayant vécu, la période est tout aussi exceptionnelle pour »rendre la ville et la vie plus belles » notre nouvelle promesse ».
• Maurice Bansay, président fondateur d’Apsys
La vertu des centres de marques
« On ne le dit pas assez, les centres de marques satisfont une forme d’engagement social et sociétal ! Ils pratiquent l’économie circulaire en donnant une deuxième vie à des produits qui sans cela seraient jetés. A la logique de consommation effrénée, ils opposent une alternative raisonnée et responsable. Ils rendent des marques premium accessibles à des clients qui n’auraient pas les moyens de les acheter à prix plein. Ils pourraient devenir plus collaboratifs en intégrant des ateliers de customisation des articles, en s’élargissant aux gammes d’occasion, en accueillant des fermes urbaines. Et plus durable en s’approchant des villes pour économiser terrains et transports ».
• Mayte Legeay, directrice de Neinver France
Des horaires et une ergonomie adaptés
« Pour rester pertinents, les centres commerciaux doivent suivre les évolutions de la société, en demeurant pragmatiques et flexibles. Il ne faut pas imposer à tous les mêmes règles ! Par exemple des horaires élargis ou une ouverture dominicale à des secteurs trop différents pour en tirer les mêmes flux. En effet, une ouverture étendue c’est aussi du personnel élargi. Donc des déséquilibres entre charges et loyers qui appellent à plus de concertation. De même si l’ergonomie des centres est travaillée pour le confort de tous, il faut penser à la clientèle spécifique des seniors. Nous les connaissons bien, ils constituent notre clientèle de presbytes et ‘‘presbyacousiques’’ (atteints de problèmes d’audition) à côté de la génération suivante de clients ‘‘unifocaux’’ jusqu’à 45 ans. Ces personnes attendent des espaces de déplacement à risques réduits, des parkings rapprochés, des accès facilités… « .
• Cédric Helias, directeur commercial Groupe Afflelou
Du fun et des fondamentaux
« Le ‘‘fun shopping’’ est dans l’air du temps. Ne perdons cependant pas de vue les fondamentaux du commerce ! A savoir visibilité, accessibilité, parkings et plans merchandising. S’il est de bon ton de faire rêver les clients, il faut aussi satisfaire les exigences économiques des enseignes de retail-parks en quête de coûts immobiliers les plus maîtrisés. Notre modèle doit en effet assurer sa viabilité sur des villes moyennes, avec des zones de chalandise de 30 à 50 000 habitants, sans communes mesures avec celles des grands centres de destination, drainant des populations dix fois supérieures ».
• Matthieu Gueugnier, directeur-général de Patrimoine & Commerce
Flexibilité et modularité
« Repensons le commerce comme on a repensé le logement. Freiner les développements au prétexte que les équipements de demain s’ajoutent à ceux d’aujourd’hui est sclérosant. Considérer, plutôt, qu’ils les remplacent rend déjà plus imaginatif ! Les foncières se sont éloignées des besoins des enseignes en figeant leurs modèles à mesure qu’elles se financiarisaient. Il faut que les sites physiques acquièrent la flexibilité propre au e-commerce, une modularité compatible avec le rythme de renouvellement des concepts. Et il faut aussi rendre le lien juridique entre bailleurs et commerçants plus souple et en finir avec les ‘‘six ans fermes’’ des baux longs ».
• Christophe Sirot, directeur général de Codic France
Des contrats plus souples
« Le commerce est polymorphe et ne cesses d’évoluer. Or, la propriété commerciale fige les choses. Il faut que la loi donne plus de souplesse dans le contrat entre bailleur et enseignes ! Le droit au renouvellement en faveur des locataires et les baux à dix ans immobilisent toutes initiatives novatrices. Inspirons nous du modèle des gares, où il n’y a pas de propriété mais des conventions à six ans. Une durée raisonnable pour offrir aux enseignes le temps de faire leurs preuves ou… partir ».
• Guillaume Lapp, directeur des centres commerciaux Klépierre en France et en Belgique.